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Ce billet a été écrit par Jean-Louis Racca suite à plusieurs articles du journal Le Monde sur le thème de l’autisme et des récentes recommandations de la HAS sur le sujet. Suite, en particulier au plus récent d’entre eux Moi, autiste, face à la guerre des lobbies, paru le 21 mars. Entre parti-pris et contre-vérités Ce dernier article est, comme l’indique son titre, l’œuvre d’une personne qui se présente comme "autiste". En l’ayant publié, Le Monde en rend la critique d’autant plus pénible ; mais au-delà de la gêne éprouvée face au style très "auto-centré" et à une impression de fatuité qui se dégage de certaines formulations [1], on ne peut manquer d’y relever un grand nombre de contre-vérités et d’affirmations péremptoires. Intéressons-nous par exemple seulement à ce paragraphe :
Si tant est que la première phrase ait un sens, le rapport, consultable ici, n’affirme nulle part "impossible (la) réussite (des autistes)". Quant aux deux autres phrases, elles trahissent surtout l’ignorance de l’auteur à propos des TCC [2]. Comment affirmer, en effet, que les interventions se réclamant de ces méthodes consistent à "mimer des compétences" et qu’un de leurs "postulat(s)" est la "non-pertinence des phénomènes mentaux" (si tant est, là encore, que cette expression ait un sens) ? On pourrait aisément objecter à l’auteur qu’au-delà de ses jugements personnels, le dossier des études portant sur l’efficacité des TCC dans le domaine de l’autisme est étoffé (voir par exemple les deux revues Cochrane ici et là), alors que celui de la psychanalyse reste désespérément vide [3]. Et que l’efficacité des interventions TCC est donc un fait, même si, un peu à la manière d’un "expert" qui nous expliquerait que le Titanic n’a pas coulé parce que "c’était impossible", notre auteur cherche à nous expliquer pourquoi elles ne devraient pas "marcher". Mais surtout, si, comme moi, Le Monde avait pensé à l’interroger, le Pr. Scania de Schonen aurait répondu ceci (en majuscules : souligné par moi) :
La position choisie par Le Monde relève donc largement du parti-pris. Tous les autistes sont titulaires d’une thèse de doctorat ! Tous ? Non : seulement ceux qui ont eu la chance d’échapper à ABA ! C’est d’autant plus préoccupant que le journal n’en est pas à son coup d’essai. Le Monde, qui a toujours défendu la psychanalyse au-delà de toute raison, se trouve sans doute aujourd’hui, face aux remises en cause "multimodales" [4] dont elle est l’objet et que, tout à son aveuglement, il n’a pas du tout anticipées, dans une situation classique de dissonance cognitive. Il est naturel qu’il cherche à la réduire, mais les lecteurs doivent savoir que ceci a lieu au détriment de la qualité de l’information. Comment par exemple ne pas être interloqués par la façon dont Le Monde avait, quelques jours auparavant, instrumentalisé les positions de Laurent Mottron ? Le journal avait en effet titré "Autisme : une mise en garde contre la méthode ABA" un article du chercheur canadien. Le Monde ayant choisi de traiter le problème de la controverse actuelle (à propos de l’autisme) avec une grille de lecture "guerre des psys – comportementalistes vs. psychanalystes", un tel titre laissait penser que Laurent Mottron était favorable à l’approche psychanalytique… alors qu’il n’en était rien, ce que l’intéressé précisait… dans l’article lui-même ! On a beau se dire qu’en matière de "tromperie par le titre", les défenseurs de la psychanalyse avaient de "glorieux" précédents [5], il est à craindre qu’avec de tels procédés, le lecteur pressé ait tôt fait de penser que tous les autistes sont (ou pourraient, que dis-je, devraient être) tous titulaires d’une thèse de doctorat… à l’exception bien sûr de ceux qui ont eu la malchance d’avoir des parents qui leur ont imposé des méthodes comportementales ! Comme si cela ne suffisait pas, l’article en rajoute encore dans la culpabilisation des parents en accusant ceux qui recherchent ces méthodes (au prix, faut-il le rappeler, d’un véritable parcours du combattant dans notre pays) de vouloir des "enfants parfaits". On trouve ainsi cette phrase où l’auteur compare la situation des autistes à celles des sourds : "Les implants cochléaires, outre qu'ils répondent au 'désir d'enfant parfait' des parents d'enfants sourds, favorisent les intérêts des chirurgiens ORL". L'auteur devrait réfléchir au fait que dans une société fondée sur le profit, des intérêts vont forcément être "favorisés", quelle que soit la valeur de la méthode utilisée. Si des parents (parce qu’ils veulent un enfant "imparfait" ?) consultent un psychanalyste, ils vont "favoriser son intérêt" : en quoi ceci nous dit-il quelque chose sur la validité de telle ou telle méthode ? Le jour où Le Monde décidera, sur ce sujet, d’informer ses lecteurs au lieu de les manipuler, il lui sera loisible d’interroger quelques parents incriminés. Voici quelques réactions, glanés sur un célèbre "réseau social", qu’il pourrait alors recueillir, permettant ainsi aux lecteurs en question de percevoir d’autres enjeux :
Que dire de plus ? Rien. Ou plutôt si, une dernière chose "avec Internet, nous pouvons tout à fait nous passer du Monde pour avoir une information de qualité. Et c’est tant mieux !" Jean-Louis Racca NOTES : [1] comme par exemple "notre expérience montre" ou ces "théories dont nous avons démontré l'invalidité" : on peut se demander sérieusement qui est ce mystérieux "nous" et dans quelle revue scientifique à comité de lecture on peut trouver ce qu’il a "démontré" ; [2] Il est vrai qu’il en est de même de la collaboratrice (et, pour ainsi dire, responsable de la rubrique "psychanalyse") du journal, Elisabeth Roudinesco ; ainsi, dans un article où elle se réjouissait de la mise à l’index du rapport de l’INSERM (de 2004, sur l’évaluation des psychothérapies, rapport qui concluait, pour faire court, à l’inefficacité de la psychanalyse) par le ministre Douste-Blazy, on pouvait lire :
[3] Sans compter, on l’oublie trop souvent, qu’un élément est déterminant dans l'évaluation d'un traitement : l'acceptabilité. Manifestement les familles n’acceptent pas (ou plus) la psychanalyse. [4] au sens où ces remises en cause viennent de champs aussi divers que la psychologie, la neurologie, l’histoire, la sociologie, l’ethnologie… [5] Les décideurs culturels hexagonaux sont, pour la plupart, dans un tel état de sidération lorsque la psychanalyse est l’objet de critiques qu’ils essaient par tous les moyens de les cacher. Ainsi, lorsqu’ils ne peuvent empêcher la parution en français d’un ouvrage étranger critique sur la psychanalyse, certains tentent parfois d’en atténuer la portée en modifiant considérablement son titre. C’est comme cela que l’ouvrage Freud, Biologist of the Mind, Beyond the Psychoanalytic Legend de Frank Sulloway* est devenu Freud, biologiste de l'esprit**. La mention "au delà de la légende psychanalytique" a mystérieusement disparu. Quant à Why Freud Was Wrong : Sin, Science and Psychoanalysis de Richard Webster***, il s’est mué en Le Freud inconnu, l'invention de la psychanalyse****. Pas question de laisser celui qui ne verrait que les titres associer "psychanalyse" et "légende" ou imaginer que Freud a pu se tromper ! * New York, Basic Books, 1979. ** Fayard, 1981. *** New York, Harper Collins/Basic Books, 1995. **** Exergue, 1998. |